Rappel historique, généralités, mission : L´ouvrage occupe l´emplacement d´un fort carré projeté par Vauban (Projet de Traverse de 1696 et 1699, approuvé par Vauban) en 1694 au moment de la mise en état de défense de Brest et [de ses] environs, fort dont seul [le] front sud fut exécuté, d´abord en fortification de campagne, puis en fortification permanente et intégré tel quel dans les premières lignes de Quélern.
Après l´achèvement des nouvelles lignes de Quélern, ce front et ce qui subsistait des lignes primitives fut laissé à l´abandon.
Toutefois, dès 1779, divers projets furent élaborés pour rétablir un fort à usage de réduit, dans les nouvelles lignes, puis, en 1811, on projeta de doubler les lignes de Quélern en arrière par un mur défensif s´appuyant sur trois tours-réduits [tours-modèles 1811, n° 1] (analogue aux réduits [tours-modèles] réalisés à Cornouaille et à la pointe des Espagnols).
Aucun de ces projets ne vit le jour et les choses en restèrent là jusqu´en 1852, date à laquelle on décida de construire le réduit actuel (le terrain a été acheté en 1849) pour soutenir les lignes proprement dites et continuer à tenir le terrain en cas de forcement des lignes, tout en empêchant l´ennemi de les utiliser.
L´ouvrage occupe le sommet topographique du plateau [ ], au rebord sud duquel sont tracées les nouvelles lignes.
Exécuté de 1852 à 1856, l´ouvrage n´a pas été modifié par la suite à l´exception d´un magasin à poudre[s] enterré, type 1874, ajouté vers 1880 pour doubler le magasin à poudre de 1853 devenu incapable de résister aux projectiles de l´artillerie rayée.
Au moment des combats de siège de Brest en 1944, l´ouvrage a été violemment bombardé et a subi des dommages considérables. Actuellement [septembre 1972] il est utilisé comme dépôt et garage par le centre de Commandos voisins. Les fossés et les remparts sont couverts de ronces impénétrables.
Organisation générale : L'ouvrage est constitué par un rectangle bastionné de 230 mètres par 170 mètres entre les saillants de bastions dont le grand axe est orienté nord / nord-ouest - sud / sud-est.
L'escarpe revêtue est semi-détachée sur les trois fronts ouest, nord et est, attachée à demi-revêtement sur le front sud.
- Contrescarpe à terre coulante, sauf autour de la demi-lune du front sud.
- Fossé général tout autour de l'ouvrage (largeur 7 mètres environ au fond).
- Un chemin couvert entoure l'ensemble de l'ouvrage, comportant devant les courtines ouest, nord et est de grandes places d'armes rentrantes (tenant lieu de demi-lunes) avec traverses et sorties. Le front sud comporte une demi-lune et un chemin couvert de type plus ancien avec places d'armes et traverses de chemin couvert.
- A l'intérieur, la grande cour centrale est entourée d'une grosse levée de terre périphérique, formant rempart et portant la banquette de tir. Ce rempart est tracé à pans coupés à la gorge des bastions et le pied de son talus extérieur arrive légèrement en arrière du parapet couronnant l'escarpe, ménageant ainsi un chemin de ronde.
Le grand côté ouest de ce rempart abrite une caserne à l'épreuve à deux niveaux. L'entrée du réduit est ménagée au milieu du front est. Le rempart nord et les pans coupés sud-ouest sont percés de poternes permettant d'accéder aux terre-pleins extérieurs des bastions.
- Sous le massif du rempart, à la gorge du bastion 101 se trouvait le magasin à poudre type 1874 (détruit).
- Dans l'angle sud-est de la cour intérieure se trouve le magasin à poudre d'origine (1853).
Détails :
Escarpe, front sud : maçonnerie grossière en moellon de schiste exécutée au 18e siècle.
Autres fronts : parements en maçonnerie, en pierre de taille de granite clair, appareillé, avec chaînes d'angles harpées (disposition commune à tous les bâtiments de l'ouvrage). Le parapet est surmonté d'une tablette bordée d'un tore faisant saillie en avant du parement.
L'escarpe sensiblement verticale, repose à la base sur un soubassement maçonné en glacis à deux pentes, disposition très rare correspondant en fait à un habilage du massif rocheux sur lequel est fondée l'escarpe.
Caserne casematée (appelée T dans les Grands Atlas du Génie) : grand bâtiment rectangulaire établi sous le grand côté ouest du rempart, dans lequel il s'appuie aux deux extrémité (équilibre des voûtes). Ce bâtiment comporte deux niveaux d'habitation :
- Un rez-de-chaussée, du même niveau que la cour centrale.
- Un sous-sol prenant jour de chaque côté sur une cour longeant le bâtiment.
- Un niveau partiel de citernes (quatre citernes avec bassin de décantation et filtre, citernes alimentées par les eaux de ruissellement).
A l'origine, le bâtiment comportait, à chaque niveau, 15 travées identiques (Une travée centrale / vestibule et cage d'escalier et 7 travées de chaque côté) voûtées et séparées par des refends. A chaque extrémité, il est traversé par des passages permettant, à l'étage supérieur, d'aller de la cour centrale au parapet et, à l'étage inférieure ; d'aller de la cour intérieur à la cour extérieure.
Les bombardements aériens ont détruit les 7 travées du centre et endommagé 4 autres (2 de chaque côté) coupant littéralement le bâtiment en deux. D'autre part, les voûtes de l'étage supérieur (Voûtes surbaissées en maçonnerie appareillée de 0,6 mètre d'épaisseur recouverte d'un remplissage en maçonnerie de mortier avec chape de forme couverte d'une étanchéité, épaisseur totale à la clef : de 0,8 à 1,1 plus 3 mètres de terre au rempart.) portaient les terres du parapet et la banquette de tir ; ces terres semblent avoir été déblayées dès avant la guerre, probablement à la suite d'infiltration d'eau dans les casemates (incident fréquent dans les bâtiments de cette époque).
Fenêtres (deux par travée, dans chaque façade) rectangulaires à linteau monolithique surmonté d'un arceau de décharge à claveaux rayonnants, montants en gros appareil dressé et harpé.
Portes des couloirs : plein cintre, montants et claveaux harpés. L'accès aux couloirs et à la travée centrale du rez-de-chaussée se fait par des ponceaux en maçonnerie franchissant la cour. Le ponceau central a disparu sous les bombardements.
Circulation longitudinale réalisée par des portes percées dans les refends transversaux et disposées en alignement droit.
D'après un état de la fin du 19e siècle, ce bâtiment avait, à l'origine, une contenance [capacité] de 533 hommes (avec ameublement pour 621), elle contenait une boulangerie avec four, une cuisine, un magasin aux grains.
Réserve d'eau : 1 200 mètres cubes environ, débit des deux pompes : 41 littres par minute chaque.
Magasin à poudre (repère B du plan Marine, U des plans du Génie) : construit en 1853 et implanté dans l'angle sud-est de la cour intérieure du réduit, c'est un bâtiment en élévation conforme aux dispostions adoptées pour ce genre d'édifice depuis le 17e siècle et avant la mise en service de l'artillerie rayée. Capacité : 44 900 kilogrammes de poudre.
Plan rectangulaire : toiture en maçonnerie pleine à deux pentes sur voûte intérieure ; accès par entrée ménagée dans le pignon nord (deux portes successives par raison de sécurité) donnant de plain-pied dans la chambre des poudres. Dimensions intérieures 16,8 mètres par 8,2 mètres), voûtée en plain cintre (hauteur sous clef : 5 mètres).
La chambres des poudres est établie sur vide sanitaire en sous-sol (accès par deux trappes) et comporte un plancher dont les logements des poutres sont visibles dans les parois.
Les murs latéraux des longs pans (épaisseur 2,5 mètres) sont traversés par des barbacanes d'assèchement tracées en baïonnette (4 de chaque côté).
Maçonnerie : pierre de taille de granite clair appareillée et dressée. Chaînes d'angle en gros appareil. Les longs pans sont surmontés d'une corniche de granite biseautée et soulignée d'un filet. Date, en pignon : 1853.
Bâtiment très soigné quoique de décoration très sobre, où les nécessités de la protection ont eu pour conséquence l'extrême homogénéité d'une construction qu'on serait tenté de qualifier de monolithique.
Magasin à poudre enterré : ...
Passage couvert Nord : ...
Porte d´entrée : s'ouvre au milieu de la courtine 102-103 (front est) ; dans son projet, Vauban avit prévu l'entrée par le front nord.
Portail en maçonnerie dont le sommet dépasse d'environ 2,5 mètres le couronnement de l'escarpe.
Ouverture en plein cintre extradossé en harpe s'ouvrant dans un ébrasement rectangulaire servant de logement au tablier du pont-levis relevé. Cet ébrasement est encadré de deux montants formant pilastres, surmonté d'un linteau. L'ensemble, réalisé en gros appareil de granite beige clair est surmonté d'une corniche à larmier couronnée d'une moulure débordante en quart de rond, et soulignée d'un filet.
Au-dessus, une table de granite taillée en pointe de diamant. Le bâtiment repose sur un soubassement en glacis, les deux montants reposant, par l'intermédiare d'un boudin, sur deux petits soubassement talutés se perdant dans le soubassement général. Au-dessus de la porte, dans le linteau, entre le filet et la corniche, est gravée la date "1854".
Dans les montants sont percés, en façade, les deux fentes de passage des chaînes du pont-levis et le logement des poulies métalliques encore en place).
Pont-levis du type à la Poncelet, dont les mécanismes (chaînes à contrepoids) sont logés dans des niches ménagées dans les joues latérales des montants, à droite et à gauche du passage ; à l'arrière feuillure des ventaux de la porte.
La porte donne accès à un petit vestibule à ciel ouvert, avec de part et d'autre les escaliers d'accès au chemin de ronde, ce vestibule précède un passage couvert menant à la cour centrale et constitué par une galerie voûtée en plein cintre.
Côté cour, le passage est encadré par deux locaux casematés à usage de corps de garde prenant jour dans une façade donnant sur la cour centrale. Les locaux casematés communiquent chacun par deux portes avec le passage couvert. Leur façade arrière, encastrée dans le talus intérieur du rempart se raccorde à celui-ci par deux murs en aîle, tracés en retour oblique et surmontés chacun d'un escalier d'accès à la banquette du rempart.
Le tout est assez sévère, très sobre mais de proportions heureuses.
Divers : A noter dans les flancs des bastions 103 et 104 des embrasures à canon pour le flanquement (une par flanc) :
- Embrasures rectangulaires, à joues légèrement divergentes, entaillant le parapet ; seuil monolithique, montants en gros appareil harpé.
- Egalement des créneaux de fusillade (six par flanc répartis à raison de trois à droite et trois à gauche de l'embrasure du canon), ces créneaux sont des fentes verticales du type "archère" à joues convergeant vers l'extérieur.
Conclusion sur le réduit de Quélern : Ouvrage intéressant du fait de sa réalisation en deux phases éloignées [1694-1699 et 1852-1856], et par ailleurs très conforme aux dispositions réglementaires en France à son époque, à la veille de la crise de l´artillerie rayée. Analogies à faire avec les forts de la première ceinture de Paris (1840). On y constate une fois de plus l´attachement obstiné du corps de génie français au système bastionné, malgré l´abandon à peu près général ce système à l´étranger.