Défense des côtes et géostratégie aux 19e et 20e siècles
L´histoire de la fortification a souvent été associé à des études de géostratégie. Depuis longtemps, les militaires se sont intéressés à la question de la défense de côte car toute guerre maritime intéresse la géostratégie. En effet, la mer constitue un "moyen de communication entre les Etats et entre ceux-ci et leurs dépendances - c´est-à-dire entre théâtres". En conséquence, la mer est géostratégique par essence, alors que la terre ne le devient que par accident, en fonction de l´échelle des opérations. Depuis l´aviation stratégique et les transports à long rayon d´action, l´air joue lui aussi comme un théâtre et un trait d´union entre théâtres. La Seconde Guerre mondiale et les conflits ultérieurs, englobant les trois milieux terrestre, maritime et aérien, marquent l´apothéose de la géostratégie.
Au 19e et au début du 20e siècle, certains auteurs comme Didelot, Gaffarel, Laboria, se contentent d´une description stratégique du littoral accompagnée ou non de cartes. Ce sont les début de la géostratégie qui pose au lecteur la question de savoir si la géographie détermine la stratégie ou la stratégie qui utilise la géographie ? Grivel en prenant en compte les progrès techniques ira plus loin encore dans son ouvrage : De la guerre maritime avant et depuis les nouvelles inventions : attaque et défense des côtes et des ports, guerre du large : étude historique et stratégique édité à Paris en 1869.
Le Service Historique de la Marine à Brest conserve de nombreux cours de fortifications plus techniques, issus de différentes écoles militaires : Ecole militaire et d´application du Génie, Ecole d´application de l´artillerie et du Génie, Ecole royale spéciale militaire de Saint-Cyr. Parmi les plus intéressant que nous avons consulté figurent, le Cours de fortification permanente de Delair et le Cours élémentaire de fortification fait à l´école spéciale militaire d´Emy.
Dans le dernier quart du 20ème siècle, deux auteurs vont aller beaucoup plus loin dans leurs réflexions sur les fortifications, la Marine et la géostratégie mondiale tout en proposant des modules de réflexion à plus long terme.
Ouvrage de référence, La pierre et le vent, fortifications et marine en Occident d´Alain Guillerm traite du contrôle de l´espace terrestre et maritime de l´Antiquité à la Guerre Froide. Dans l´étude de "l´espace de la guerre", Alain Guillerm rejoint Paul Virilio auteur de Bunker archéologie. Guillerm y évoque l´éternelle course entre le boulet et la muraille, les progrès de la fortification et de la marine mais surtout s´interroge sur les liens étroits entre stratégie et technologie. Ce que Nicolas Faucherre appelle "le dialogue entre des moyens d´attaque toujours plus performants et des moyens de défense qui y répondent toujours avec retard".
Guillerm pose une question fondamentale : "Pourquoi écrire sur la guerre lorsqu´on est un homme de paix ? " et nous offre une très bonne analyse de ce qui nous attendra dans nos travaux : "la stratégie est autant l´histoire de la guerre que l´art de la guerre - ce domaine rejoint l´archéologie, l´histoire des techniques et plus généralement l´archéologie du savoir", notre étude sera donc forcément pluridisciplinaire.
Chez Paul Virilio, les blockhaus, sont des "bornes de l´espace militaire contemporain" qui continue à exercer de la fascination car aujourd´hui, il n´y a plus de bornes : la dimension du danger a changé. "La terre est devenu un immense glacis exposé au feu nucléaire" et le blockhaus vient nous rappeler ce bouleversement : il y a 60 ans, il pouvait abriter l´homme alors qu´aujourd´hui l´homme n´est plus à l´abri nul part... c´est l´idée d´extension du phénomène de la guerre à l´échelle mondiale.
Dans son ouvrage publié en 1985, Alain Guillerm va dans le même sens en résumant les profondes mutations qui ont eut lieu depuis la Seconde Guerre Mondiale comme le primat de "l´échelle mondiale" dans les calculs stratégiques.
Ce primat se manifeste d´ailleurs dans le terme géostratégie, combinaison des termes géographie et stratégie, qui pour les militaires, les géographes et les historiens désignent la spécificité des opérations conduites "aux plus vastes dimensions, et avec la plus grande variété de moyens d´action", selon l´expression d´André Vigarié. Mais chaque époque, en fonction de ses moyens de communications, possède ses propres "plus vastes dimensions" à laquelle on peut associer un type de fortification. A cela près qu´aujourd´hui, le sous-marin d´attaque a vaincu la vieille muraille.
"A l´époque du tank et de l´avion, une ligne fortifiée est devenue le synonyme de l´absence de volonté de vaincre. D´ailleurs les puissances de l´Axe, dès leurs premières défaites, vont tomber dans ce travers ; le mur de l´Atlantique de Hitler, les îles fortifiées japonaises du Pacifique (de Tarawa à Okinawa), seront le symptôme de ce tournant dans la fortune des armes comme dans les esprits". Pourquoi élever des fortifications si la guerre peut avoir lieu n´importe où, n´importe quand ? Même les missiles n´ont qu´une portée limitée et sont tirés depuis l´élément marin, en quoi ils relèvent toujours de la géostratégie. L´extension du rayon d´action des armées favorise cette multiplication des théâtres qui définit l´essence même de la géostratégie. "Dans cette optique on peut donc affirmer qu´en 1940 comme en 1980, la fortification, "le béton", est radicalement dépassée, et que le char et l´avion restent les rois du champ de bataille quelle que soit la puissance des missiles employés contre eux. Mais si le "béton" est dépassé, le concept de fortification lui, ne l´est pas. La défense du territoire - sa sanctuarisation - a simplement changé de nature. Pour une puissance indépendante c´est, pensons-nous, la dissuasion, la menace du feu nucléaire stratégique qui est devenue la forme moderne de la fortification".